Réflexions du Secrétaire général de la CITES - Forum économique mondial - Réunion annuelle des nouveaux champions 2017 - Dalian, Chine

Mise à jour le 12 janvier 2021

Forum économique mondial 

Réunion annuelle des nouveaux champions 2017 

Dalian, Chine, 28 juin 

Endiguer la montée du commerce illégal d’espèces sauvages 

John E. Scanlon, Secrétaire général, CITES

(watch the recorded live speech online)

Au cours des dernières années, nous avons a été témoins d’une poussée du commerce illégal d’espèces sauvages.

On estime que ce commerce illégal d’espèces sauvages se chiffre à 20 milliards de dollars des États-Unis par an, sans inclure la pêche et le bois, ce qui place ce commerce illégal au rang d'autres crimes graves, tels que le trafic d'armes, de stupéfiants et d’êtres humains.

Ce commerce est dirigé par des gangs transnationaux de criminalité organisée et, dans certains cas, des milices rebelles. Ils ont ciblé des espèces sauvages de grande valeur et ils se livrent au braconnage et à la contrebande à une échelle industrielle, ce qui décime les populations sauvages.

Ces criminels ciblent les espèces sauvages en réponse à demande de divers produits de la faune et de la flore sauvages, et ils engrangent des profits en courant des risques relativement faibles. Cette équation entre profits et risques est heureusement en train de changer et même de changer rapidement, grâce à l'adoption et à l’application de lois plus strictes, à des stratégies de réduction de la demande, à l’engagement avec les communautés locales et le secteur privé, et grâce au déploiement des technologies modernes.

Il existe des règles internationales régissant le commerce des espèces sauvages qui sont fixées par la CITES, un accord international juridiquement contraignant adopté à Washington en 1973. La CITES établit les règles auxquelles les criminels tentent de se soustraire.

Selon le tout premier  UN World Wildlife Crime Report publié l'an dernier, des produits dérivés de plus de 7 000 espèces d'animaux et de plantes sauvages sont commercialisés illégalement dans toutes les régions, ce qui a une incidence sur les produits dérivés d'animaux et de plantes qui ne peuvent être commercialisés conformément aux règles de la CITES, tels que l'ivoire de l'éléphant, la corne de rhinocéros et les parties du tigre. Ce commerce illégal affecte également les animaux et les plantes dont la commercialisation est autorisée en vertu des règlements commerciaux stricts de la CITES, tels que les peaux de python, les coraux et le bois de rose, mais pour lesquels les commerçants n’obtiennent pas de permis préalables pour en certifier la légalité et la durabilité.

Ces groupes criminels ne se contentent pas de décimer les espèces sauvages - ils détruisent des biens qui peuvent soutenir le développement durable. Ils corrompent aussi les fonctionnaires locaux, recrutent et arment les braconniers locaux, blessent et tuent des gardes forestiers et créent une instabilité. Ils privent les communautés locales de la possibilité de développer leurs propres ressources naturelles, par exemple le tourisme axé sur la faune sauvage, ou de bénéficier du commerce légal de certains produits de la faune et de la flore sauvages qui peuvent être utilisés durablement dans l’alimentation, la mode et le secteur pharmaceutique, ce qui peut les aider à échapper à la pauvreté. Au contraire, ce commerce illégal précipite des communautés entières dans une spirale de pauvreté.

Permettez-moi de partager quelques exemples avec vous pour vous donner une idée de l'ampleur de ce commerce illégal impliquant des gangs transnationaux de criminalité organisée :

- selon les estimations, près de 100 000 éléphants d’Afrique ont été abattus pour leur ivoire sur une période de trois ans seulement. Dans certaines régions, l'ampleur des massacres menace des populations locales d'extinction, notamment en Afrique centrale. Environ 400 000 éléphants d’Afrique et 50 000 éléphants d'Asie vivent encore dans la nature. À la fin de l'année dernière, la Chine, qui est Partie à la CITES depuis 1981, a pris la décision courageuse de fermer tous ses marchés internes de l'ivoire en appui à la lutte contre le commerce illégal de l'ivoire.

- le braconnage du rhinocéros d’Afrique pour sa corne était relativement jugulé jusqu'en 2006, année au cours de laquelle 60 animaux seulement ont été braconnés en Afrique. Depuis lors, nous avons été témoins d’une escalade rapide du braconnage de ces animaux pour leur corne, qui a frappé plus de 1 300 spécimens l'an dernier. On estime que 25 000 rhinocéros vivent encore dans la nature en Afrique, y compris le tout dernier rhinocéros blanc mâle du Nord qui est protégé par des gardes armés 24 heures sur 24, et 3 500 en Asie.

- un animal moins connu, le petit fourmilier que l’on nomme pangolin, est peut-être celui qui a le plus souffert, des centaines de milliers de ces animaux étant abattus illégalement pour leur viande et leurs écailles, avec des saisies récentes de 10 tonnes de viande de pangolins - l'équivalent de 180 personnes de ma taille, et très récemment de 7 tonnes d'écailles de pangolins.

- en valeur, c'est le bois de rose, qui est illégalement prélevé, qui est le produit de la flore sauvage qui fait l’objet du plus grand commerce illégal. Dans le parc national de Thap Lan en Thaïlande, le plus grand arbre de bois de rose qui reste encore, est aujourd’hui entouré de chaînes pour sa propre protection. C'est une honte car le bois de rose est une espèce qui pourrait être prélevée et commercialisée légalement en vertu de la règlementation CITES, et si elle l’était de manière durable, elle pourrait soutenir l’industrie et les emplois locaux.

- le plus petit marsouin du monde, la vaquita, est maintenant l'un des animaux les plus menacés de la planète, avec seulement 30 spécimens dénombrés, car il est capturé et tué accidentellement lorsque les pêcheurs capturent illégalement le poisson Totoaba, lui aussi en voie d'extinction, pour sa vessie.

Je pourrais continuer ainsi, mais je pense que vous m’avez compris. Certaines de nos espèces sauvages parmi les plus extraordinaires, sont menacées d’extinction entre les mains de gangs transnationaux de criminalité qui dépouillent les communautés locales et les pays de leurs espèces sauvages à une échelle industrielle, ne tenant compte ni de la nature, ni des hommes.

Mais comment les arrêter ? Ce n'est pas facile - en fait, c'est vraiment difficile. Nous avons besoin d'un effort collectif pour faire face à la demande et à l'offre. Nous devons travailler sur toute la 

longueur de cette chaîne illégale qui frappe les espèces sauvages, et nous devons intégrer les organismes de niveau international et national qui sont dotés du mandat, de la formation et des ressources nécessaires pour lutter contre la criminalité transnationale.

C'est exactement ce que nous faisons au niveau international par l’intermédiaire du Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC). INTERPOL, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et l'Organisation mondiale des douanes ont rallié ce combat et déploient les mêmes outils et techniques que ceux utilisés pour combattre d'autres crimes internationaux graves dans la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages.

Pourtant, même avec le concours tous les organismes de lutte contre la fraude et les nombreuses autres mesures en cours, nous ne réussirons pas sans le soutien des communautés locales et du secteur privé.

Chaque année, plus de 500 millions de conteneurs se déplacent de par le monde, 1,2 milliard de touristes voyagent, et chaque jour, 100 000 vols décollent. Les transports modernes nous permettent d’amener des produits aux quatre coins de la terre, que leur source soit illégale ou non.

Malheureusement, les gangs transnationaux de criminalité utilisent des formes légitimes de transport aérien, terrestre et maritime pour transporter secrètement les produits de contrebande.

Grâce à une initiative extraordinaire de S.A.R le duc de Cambridge, nous collaborons avec les transporteurs privés, les compagnies aériennes, les courriers, les entreprises de transport maritime et autres. En signant une déclaration connue sous le nom Buckingham Palace Declaration (Déclaration du Palais de Buckingham), ils s'engagent à aider à combattre ces crimes graves - en adoptant une politique de tolérance zéro, en informant et en éduquant leur personnel et leurs clients, et observant la situation pour les douanes et la police.

Plus de 50 entreprises et organisations ont maintenant signé cette Déclaration, notamment Emirates Airlines, dont le Président Sir Tim Clark, a ardemment défendu la cause.

Et le mois dernier encore, je me suis tourné vers le secteur des voyages et du tourisme lors du sommet annuel du Conseil mondial du voyage et du tourisme pour qu’il nous rejoigne dans cette lutte, tout comme nous nous étions tournés vers le secteur des transports, mais à une différence importante près.

Le tourisme axé sur la faune et la flore sauvages repose sur les atouts de la nature : les animaux et les plantes sauvages. L'expérience a révélé que la meilleure façon de conserver ces atouts est de coopérer activement avec les communautés locales, de créer des emplois et des richesses locales. Ainsi, elles seront les meilleures protectrices de la nature. J'ai pu le constater lors d'un récent voyage au Northern Rangelands Trust au Kenya.

Et, Mesdames et Messieurs, si nous voulons aussi gagner cette bataille, nous devons déployer les technologies modernes les plus performantes.

Les défis pour les fonctionnaires, de savoir où se trouvent les espèces sauvages, les rangers et les braconniers dans de vastes paysages et paysages marins, pour les douanes de dédouaner des centaines de millions de conteneurs, de voyageurs et de colis, pour les procureurs pour prononcer des condamnations et pour les inspecteurs de surveiller plusieurs marchés d’espèces sauvages sur le terrain et en ligne, sont immenses. L'ampleur de la tâche est colossale. Savoir où déployer des ressources limitées de lutte contre la fraude est un immense défi et trouver où se loge la contrebande revient parfois à trouver une aiguille dans une botte de foin.

Les douanes, les policiers et les rangers ont tous besoin de bons renseignements sur l'endroit où se trouver et sur quoi chercher, et les procureurs ont besoin de preuves concrètes pour prononcer des condamnations.

Si elles sont bien déployées, les technologies modernes peuvent et pourront changer la donne. Cependant, pour cela, il faut d'abord que les fonctionnaires soient bien formés et rémunérés, notamment les rangers, les fonctionnaires des douanes et de police, qui doivent être capables d’utiliser ces technologies dans leurs efforts de lutte contre la fraude.

Il existe de nombreuses technologies disponibles ou en cours d’élaboration. Il ne m’appartient pas de soutenir des produits particuliers, mais je peux citer des exemples de déploiement de technologies pour lutter contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Si vous regardez cette diapositive, vous verrez des images de drones de surveillance aérienne, de scanners pour conteneurs maritimes, de vieux téléphones mobiles pour écouter la forêt, et la meilleure de toutes, la technologie de la nature, le chien et son odorat incroyable. Plus précisément :

- déterminer l'âge et l'origine des spécimens dans le commerce peut être critique pour déterminer la légalité. L'utilisation de la médecine légale moderne, en particulier de la technologie de l'ADN et des isotopes, nous permet de le faire. Par exemple, nous pouvons maintenant à partir d'un tout petit morceau d'ivoire déterminer son âge et son origine, ce qui constitue une preuve précieuse lors des poursuites. Des bases de données ADN sont en cours d'élaboration permettant de déterminer rapidement l'origine des spécimens dans le commerce illégal, tels que la corne de rhinocéros et l'ivoire, ce qui permet de mieux savoir où déployer les mesures de lutte contre la fraude. On peut appliquer cette méthode à de nombreuses autres espèces dans le commerce, y compris des espèces de bois.

- la bonne identification des espèces sauvages, de leurs parties et de leurs dérivés peut constituer un défi. Bien que les tests d'ADN soient de plus en plus courants, il n'est pas toujours possible de les pratiquer. En plus des tests ADN, nous pouvons maintenant identifier les animaux et les plantes, y compris leurs parties et leurs dérivés, grâce à l'utilisation d'applications et d'autres technologies, y compris la nanotechnologie et les hologrammes, pour séparer les spécimens légaux des spécimens illégaux dans le commerce, ce qui est précieux pour les agents des douanes.

- savoir où et quand déployer les efforts de lutte contre la fraude est essentiel. Grâce à l'utilisation des technologies de surveillance, nous pouvons voir, entendre et suivre les espèces sauvages, les personnes et les véhicules en temps réel - dans l'air, sur le terrain, sur et sous la surface de l'eau, nous permettant de connaître l'emplacement des espèces sauvages, ainsi que celui des rangers et des braconniers en mer et sur terre. Parfois de l'ivoire d’éléphant et des œufs de tortue sont équipés de systèmes GPS pour être suivi dans le commerce illégal.

- les technologies connexes sont également capables aujourd’hui de rassembler de multiples sources de données et d'informations en temps réel pour soutenir la lutte contre la fraude fondée sur des renseignements sur terre et en mer. J'ai eu la chance d’être témoin de l’application réussie de telles technologies au Lewa Conservancy au Kenya et dans le cadre d’une initiative près du parc Kruger en Afrique du Sud, où elles ont considérablement réduit le braconnage - dans les deux cas, aucun rhinocéros n’a été victime de braconnage en trois ans – tout en garantissant la sécurité des rangers et des communautés locales.

- la surveillance englobe également l'Internet où des programmes bien conçus détectent des espèces sauvages d'origine illégale commercialisées en ligne, notamment sur le Web profond.

- les citoyens veulent jouer un rôle et peuvent être les yeux et les oreilles des autorités chargées de la lutte contre la fraude. Les citoyens peuvent maintenant utiliser une application pour signaler le commerce illégal quand ils le constatent.

- Les permis papier délivrés par la CITES laissent la porte ouverte à la corruption et à la fraude. Nous nous acheminons vers des permis électroniques, ce qui peut contribuer à éliminer ces maux et, quand ils sont étendus aux douanes, ils contribuent également à la détection du commerce illégal. Nous encourageons l’eCITES afin de d’automatiser pleinement les activités CITES et les mécanismes de contrôle, et de promouvoir une transparence totale.

Cette technologie a de multiples applications, en particulier pour répondre à des problèmes de sécurité personnelle plus larges.

Mais ces technologies sont souvent encore peu raffinées ou en sont à leurs balbutiements. Elles peuvent encore beaucoup évoluer. Nous encourageons d'autres investissements dans les nouvelles technologies, notamment par le biais d'un fonds d’investissement pour l’impact. Nous avons même imaginé ce à quoi ce fonds pourrait ressembler !

Mesdames et messieurs, aujourd'hui, nous nous adressons à vous, en votre qualité d’hommes et femmes d’affaires, d’investisseurs et d’entrepreneurs, pour que vous rejoigniez la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages. C'est ce qu’il convient de faire - et si vous avez des enfants, ils vous adoreront ! Vos efforts contribueront non seulement à protéger nos espèces sauvages les plus précieuses, mais aussi à dégager un rendement commercial.

En ce qui concerne les industries de la mode, de l'alimentation, de l’ameublement, des instruments de musique et des produits pharmaceutiques, vous protégerez votre propre chaîne légale d'approvisionnement en matières premières. En ce qui concerne le secteur du voyage et du tourisme, vous protégez les atouts particuliers qui sous-tendent le tourisme axé sur la faune et la flore sauvages. Pour le secteur des transports, vous développez votre marque et protégez votre personnel et vos clients contre les blessures et les maladies. Dans le secteur technologique et en ce qui concerne les investisseurs, vous pouvez commercialiser de nouvelles technologies qui protègeront les espèces sauvages et les populations, tout en offrant un bon rendement.

Tout le monde doit monter au créneau si nous voulons gagner ce combat et veiller à ce que les superbes animaux et plantes sauvages qui peuplent notre planète puissent survivre dans la nature, pour le bien de la planète et pour soutenir les efforts déployés pour atteindre les objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Vous avez tous un rôle essentiel à jouer dans cette entreprise collective.

Merci de vous joindre à nous dans ce combat !