Dix-neuvième réunion du Forum des ministres de l’environnement d’Amérique latine et des Caraïbes
Groupe ministériel
Los Cabos, Baja California Sur, Mexique, 13 mars 2014
« L’utilisation durable de la biodiversité »
John E. Scanlon, Secrétaire général
Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore
sauvages menacées d’extinction (CITES)
M. le ministre Rene Castro, ministre de l’environnement, de l’énergie et des télécommunications du Costa Rica.
Honorables ministres, chers homologues directeurs exécutifs,
Distingués hôtes, mesdames, mesdemoiselles et messieurs,

J’aimerais exprimer mes sincères remerciements pour l’invitation qui m’a été faite de me joindre à vous aujourd’hui, qui, si je ne m’abuse, est une première pour le Secrétariat CITES. J’aimerais également saluer l’Autorité scientifique CITES du Mexique, qui fait un travail extraordinaire tant au niveau national que dans le cadre des procédures menées par nos divers comités – et elle accueillera une réunion conjointe des Comités CITES pour les plantes et pour les animaux à Veracruz le mois prochain.
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Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous certaines des expériences concrètes acquises dans le cadre de l’application de la CITES – des expériences qui impliquent souvent des questions complexes touchant à la fois au commerce, à l’environnement et au développement.
La notion d’utilisation durable de la biodiversité est enracinée dans des accords internationaux – et plus particulièrement dans la Convention sur la diversité biologique. La question sur laquelle nous devons nous pencher est celle de savoir comment mettre cette notion en pratique.
La CITES est un instrument capital à cet égard – car c’est un accord international dans le cadre duquel des transactions commerciales portant sur des spécimens de plantes et d’animaux sauvages sont autorisées quotidiennement et d’une manière scientifiquement mesurable.
Pour partager avec vous ces expériences concrètes, je m’appuierai sur un échantillon des données enregistrées dans la base de données sur le commerce CITES, qui comporte des entrées relatives à plus de 13 millions de transactions commerciales, ce qui constitue sans doute la base de données globale la plus importante au monde sur l’utilisation durable des espèces sauvages.
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La CITES est un instrument multilatéral prépondérant pour réglementer le commerce international des plantes et des animaux sauvages afin d’assurer que ce commerce ne présente pas une menace pour leur survie.
La Convention est encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au moment où elle a été adoptée en 1973 à Washington, et, à la conférence Rio+20, les chefs d’Etats et de gouvernements ont reconnu (dans le document final intitulé « L’avenir que nous voulons ») le rôle important joué par la CITES en tant qu’accord international se situant au carrefour du commerce, de l’environnement et du développement.
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La CITES est une convention touchant à la fois à la conservation et au commerce. Cependant, elle ne promeut ni ne décourage le commerce, mais le réglemente lorsqu’il concerne les espèces inscrites à ses annexes afin d’en assurer la légalité, la durabilité et la traçabilité.
Les 180 États Parties à la CITES ont convenu de réglementer le commerce international de certaines espèces menacées d’extinction, ainsi que de certaines espèces qui ne le sont pas encore mais qui pourraient le devenir si leur commerce n’était pas strictement réglementé.
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La CITES réglemente actuellement le commerce international de quelque 35 000 espèces de plantes et animaux sauvages, ainsi que de leurs parties et produits dérivés, avec près d’un million de transactions commerciales réalisées légalement chaque année, transactions qui sont déclarées au Secrétariat et intégrées à notre base de données sur le commerce accessible au public.
Lors de la 16e session de la Conférence des Parties à la CITES (CoP16, qui s’est tenue à Bangkok en 2013), des centaines d’essences de bois ayant une valeur commerciale ont été placées sous le contrôle de la CITES, ainsi que cinq espèces de requins exploitées commercialement et toutes les raies manta. Ces décisions reflètent l’intention des Parties à la CITES de faire le meilleur usage de cet accord pragmatique et efficace pour progresser vers la durabilité de l’utilisation des ressources de nos océans et de nos forêts.
Parmi les espèces inscrites aux annexes de la CITES, 3 % sont menacées d’extinction et figurent à l’Annexe I de la Convention. Le commerce de ces espèces est généralement interdit, comme c’est le cas pour la plupart des éléphants et des rhinocéros, de même que pour les tigres et les grands singes ainsi que certaines essences de bois et certaines espèces marines.
La grande majorité des espèces inscrites aux annexes de la CITES, soit environ 96 % d’entre elles, figurent à l’Annexe II de la Convention. Elles ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais pourraient le devenir si le commerce international n’était pas strictement réglementé. Le commerce de ces espèces est autorisé à condition qu’il soit légal, durable et traçable.
Une partie du commerce des espèces sauvages n’est réglementée que pour garantir la légalité de l’origine des produits concernés. Ces espèces figurent à l’Annexe III de la Convention et représentent environ 1 % des espèces inscrites aux annexes de la CITES.
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Chers délégués, l’utilisation durable des espèces sauvages peut passer ou non par leur consommation, et les espèces figurant à l’Annexe II de la CITES font l’objet de formes de commerce légal nombreuses et variées.
Les Parties à la CITES ont reconnu spécifiquement l’impact, tant positif que négatif, que les contrôles CITES peuvent avoir sur les communautés rurales, et ont également reconnu l’importance de travailler avec ces communautés à la mise en œuvre de la Convention.
Quarante années d’expérience ont démontré qu’un commerce international bien réglementé n’est pas un objectif facile à réaliser, de bonnes lois, de solides connaissances scientifiques et une lutte efficace contre la fraude constituant des éléments essentiels à cette réussite. Cet objectif mérite néanmoins qu’on y consacre des efforts, car les bénéfices d’un commerce strictement réglementé peuvent être importants pour les communautés locales et autochtones. Permettez-moi de partager avec vous simplement trois exemples précis pertinents pour cette région :
· Le commerce de la précieuse laine de vigogne, une espèce sauvage apparentée aux lamas domestiques, a ainsi été bénéfique à la fois pour l’espèce et pour les communautés locales. Au cours des 50 dernières années, le nombre d’animaux à l’état sauvage est passé de 6 000 à 350 000 et l’activité emploie directement ou indirectement 900 personnes dans le seul village de Lucanas, au Pérou. Je sais de source sûre qu’un costume en laine de vigogne peut coûter environ 50 000 USD, ou même plus !
· Le commerce de la chair de lambi en provenance des Caraïbes, principalement à destination des États-Unis d’Amérique, était ruiné par des récoltes effectuées sans aucun contrôle et en toute illégalité qui ont entraîné un rapide déclin du nombre de spécimens de cette espèce. Depuis l’inscription du lambi à l’Annexe II de la CITES en 1992, des efforts menés de concert ont permis de rétablir un commerce durable et légal qui est d’un grand profit pour les populations de pêcheurs locales, notamment dans la région des Caraïbes. À l’occasion de la 16e session de la Conférence des Parties, celles-ci ont adopté une décision invitant les « États de l’aire de répartition de Strombus gigas [à]collaborer à l’étude des moyens permettant d’améliorer la traçabilité des spécimens faisant l’objet de commerce international, y compris, mais pas exclusivement, les certificats de capture, les systèmes d’étiquetage et l’application de techniques génétiques », ce qui constitue le premier cas d’utilisation de telles technologies par les Parties à la CITES pour mieux réglementer le commerce des espèces marine.
· La fleur de cire ou candelilla est une plante grasse qui pousse du nord du Mexique au sud-ouest des États-Unis d’Amérique, et qui produit une cire qu’on utilise, entre autres, comme additif alimentaire et comme composant dans les rouges à lèvres. Cette espèce était menacée en raison d’une surexploitation. Les plans de gestion établis depuis que la plante a été inscrite à l’annexe II de la CITES en 1975 ont permis d’instaurer une gestion et une utilisation durables de la candelilla et d’en faire un moyen d’existence durable pour plus de 20 000 moissonneurs et leurs familles.
D’autres exemples bien documentés d’espèces faisant l’objet d’un commerce légal dans le cadre de la CITES (que je n’ai pas le temps de partager avec vous aujourd’hui) comprennent le cuir et la chair d’alligator, le caviar, les huiles essentielles, le bois d’acajou d’Afrique (swietenia macrophylla) et les trophées de chasse de markhors.
On constate une évolution vers l’élevage en captivité et la propagation artificielle de nombreuses espèces, ce qui peut contribuer à alléger la pression exercée sur les espèces capturées dans la nature. Cela peut également soulever des questions quant aux bénéfices qu’un tel commerce peut rapporter sur place.
Dans ce contexte, nous sommes ravis que le plan de travail de l’IPBES prévoie « l’utilisation durable des espèces sauvages » et nous reconnaissons le rôle que joue le Mexique dans la réalisation de cet objectif.
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Les bénéfices tirés des espèces sauvages par le tourisme – qui ne passent pas par la consommation de ces espèces – sont également essentiels, des millions de touristes entrant chaque année en contact avec des plantes et des animaux sauvages, qu’il s’agisse d’observer les baleines, de pratiquer la plongée libre sur une barrière de corail ou d’explorer l’Amazonie. Ce tourisme fondé sur les espèces sauvages génère des centaines de milliers d’emplois locaux et constitue une importante source de devises dans de nombreux pays.
Or, si les espèces sauvages disparaissent, les touristes disparaîtront également, et avec eux, les emplois et les revenus qui les accompagnent.
Ainsi, en luttant contre le commerce illégal des espèces sauvages et en assurant la survie des espèces in situ, nous soutenons les possibilités de développement actuelles et futures pour les communautés rurales.
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Éminents délégués, bien que la CITES date de 1973, elle est évoquée dans de nombreux débats contemporains sur le développement durable, par exemple sur les moyens de subsistance des populations locales et autochtones, les conséquences du changement climatique, l’utilisation durable des principes de la biodiversité, et les questions de sécurité nationale, pour n’en citer que quelques-uns.
Et au moment où la CITES célèbre le 41e anniversaire de son adoption avec de nombreux succès en matière de conservation, elle est également confrontée à un grave pic de commerce illégal d’espèces sauvages, notamment, mais pas seulement, en ce qui concerne l’éléphant d’Afrique et le rhinocéros.
Cette activité criminelle peut représenter une grave menace pour la stabilité sociale et économique, ainsi que pour la sécurité nationale de certains pays. Le braconnage pratiqué en vue du commercialiser illégalement des espèces sauvages sur le plan international constitue littéralement pour ces pays un vol de leurs ressources naturelles et de leur patrimoine culturel et compromet de surcroît la bonne gouvernance et l’État de droit.
Nous parlons ici de braconnage pratiqué à l’échelle industrielle et de criminels très organisés – et ce sont les organisations criminelles et leurs dirigeants qui font de gros profits, aux dépens des communautés locales et des économies nationales.
Lutter contre un tel commerce illégal présente de grands avantages pour les communautés locales, par exemple en protégeant les atouts touristiques naturels que j’ai évoqués tout à l’heure, ainsi que les écosystèmes et les services vitaux qu’ils procurent.
La lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages a été une question essentielle à la 16e session de la Conférence des Parties à la CITES, à l’occasion de laquelle un ensemble impressionnant de décisions a été adopté par consensus, et cette question a également été abordée dans le cadre de nombreuses réunions politiques de haut niveau, comme la Conférence de Londres qui s’est récemment achevée.
Pour combattre ces menaces, nous devons traiter la criminalité liée aux espèces sauvages comme une infraction grave, adopter des mesures de lutte contre la fraude similaires aux mesures prises pour lutter contre d’autres infractions graves, nous attaquer à la fois à la demande et à l’offre, et obtenir plus de financements.
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Le commerce illégal des espèces sauvages inscrites à l’Annexe II de la CITES met en danger la viabilité du commerce légal. Mais parallèlement, les consommateurs deviennent plus exigeants envers les producteurs en s’assurant que les produits vendus par ceux-ci ont une origine légale et durable.
Sur les instructions de la Conférence des Parties à la CITES, nous examinons des moyens de répondre à ces préoccupations. Ainsi, nous travaillons avec nos Comités CITES et les Parties à la CITES (en Asie du Sud-Est et ailleurs), la CNUCED, l’ITC, les principales enseignes de mode, l’UICN et des ONG à l’examen des manières dont les technologies modernes peuvent être utilisées pour mieux marquer, suivre et surveiller les peaux de python et les produits qui en sont dérivés, afin de contribuer à assurer la légalité et la durabilité de ce commerce, améliorer les contrôles et faciliter le commerce légal.
Cette attention particulière portée à la traçabilité est une tendance que nous observons pour de nombreuses espèces, notamment pour les essences de bois, les produits forestiers non ligneux et les espèces marines, notamment le lambi dont j’ai parlé tout à l’heure.
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Éminents délégués, de nombreux défis se posent à nous dans la réalisation de nos objectifs, mais de nouvelles et formidables possibilités se font jour pour nous aider à relever ces défis.
L’utilisation durable peut passer ou non par la consommation et elle contribue à la conservation de la biodiversité, tout en générant également des emplois et des revenus aux niveaux local et national.
En tant que telle, elle a tout à fait sa place dans le discours sur l’établissement des Objectifs de développement durable et j’espère que la réunion d’aujourd’hui contribuera à faire avancer ce débat.
Je vous remercie.