La CITES – au carrefour du commerce, de l’environnement et du développement

Mise à jour le 24 janvier 2014
2ème Congrès BioTrade
 
Session d’ouverture - Perspectives d’avenir pour le développement post-2015
 
11-13 décembre 2013, Genève, Suisse
 
Discours d’ouverture
 
John E. Scanlon, Secrétaire général de la CITES
 
M. Mukhisa Kituyi - Secrétaire général de la CNUCED,
 
M. Guillermo Valles - Directeur, Division du commerce international des biens et services, et des produits de base, CNUCED,
 
M. Hans-Peter Egler - Chef du secteur Promotion commerciale, Secrétariat d’État à l’économie (SECO), Suisse,
 
M. Braulio Dias - Secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique,
 
Honorables hôtes et invités, chers amis et collègues,
 
Merci beaucoup à nos collègues de la CNUCED pour leur aimable invitation à me joindre à vous aujourd’hui.
 
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La séance de ce matin porte sur l’Agenda post-2015 pour le développement, sur les Objectifs de développement durable ainsi que sur REDD+.
 
Je propose de consacrer aujourd’hui mon temps de parole au partage d’expériences pratiques acquises dans le cadre de de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) - soulevant souvent des questions complexes relatives au commerce, à l’environnement et au développement - qui pourraient être utiles à ces initiatives cruciales.
 
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Mesdames et Messieurs les Délégués, sept milliards de personnes consomment chaque jour des éléments de la biodiversité, que ce soit des médicaments, de la nourriture, des vêtements, des meubles, des parfums ou des produits de luxe. Les producteurs dépendent également de l’accès à la biodiversité pour fabriquer leurs produits.
 
Dans notre monde globalisé, la consommation de la biodiversité se développe à un rythme sans précédent, ce qui défie la capacité des communautés et des gouvernements à utiliser les ressources naturelles de manière durable.
 
La CITES est le principal instrument international permettant de réglementer le commerce international des plantes et des animaux sauvages afin de veiller à ce qu’il ne menace pas leur survie.
 
La Convention est encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au moment où elle a été adoptée en 1973 à Washington DC, et les chefs d’État et les gouvernements présents à la conférence Rio+20, qui s’est tenue en juin l’année dernière, ont reconnu (dans le document final L’avenir que nous voulons) le rôle important de la CITES en tant qu’accord international se situant au carrefour du commerce, de l’environnement et du développement.
 
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La CITES est une Convention touchant à la fois à la conservation et au commerce. Cependant, elle ne promeut ni ne décourage le commerce, mais le réglemente lorsqu’il concerne les espèces inscrites à ses annexes afin d’en assurer la légalité, la durabilité et la traçabilité.
 
Les États disposent de droits souverains sur leurs ressources biologiques et la décision d’en autoriser ou non le commerce leur revient - sous réserve du respect de leurs engagements internationaux.
 
Les 179 États Parties à la CITES ont convenu de réglementer le commerce international de certaines espèces menacées d’extinction, ainsi que de certaines espèces qui ne sont pas encore menacées d’extinction mais pourraient le devenir si leur commerce n’était pas strictement réglementé.
 
Quand une Partie à la CITES décide d’autoriser le commerce d’espèces sauvages inscrites aux annexes de la CITES, la Convention prévoit des mécanismes internationaux visant à s’assurer que ce commerce n’est pas préjudiciable à la survie de ces espèces dans la nature - et impose des obligations aux pays d’origine, de transit et de destination, ce qui traduit le fait que la mise en œuvre de la CITES demande un effort collectif.
 
Mesdames et Messieurs les Délégués, la CITES a harmonieusement coexisté avec l’Organisation mondiale du commerce (et son prédécesseur) au cours des 40 dernières années, et cela se poursuivra.
 
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La CITES réglemente actuellement le commerce international d’environ 35 000 espèces de plantes et d’animaux sauvages, ainsi que de leurs parties et produits dérivés, avec près d’un million de transactions commerciales réalisées légalement chaque année, correspondant aux opérations communiquées au Secrétariat et intégrées à notre base de données accessible au public.
 
Lors de la 16e session de la Conférence des Parties à la CITES (CoP16), qui s’est tenue à Bangkok en début d’année, des centaines d’essences de bois ayant une valeur commerciale ont été placées sous le contrôle de la CITES, ainsi que cinq espèces de requins exploitées commercialement et toutes les raies manta. Ces décisions reflètent l’intention des Parties à la CITES de faire le meilleur usage de cet accord pragmatique et efficace pour progresser vers la durabilité de l’utilisation des ressources de nos océans et de nos forêts.
 
Parmi les espèces inscrites aux annexes de la CITES, 3 % sont menacées d’extinction et figurent à l’Annexe I de la Convention. Le commerce de ces espèces est généralement interdit, comme c’est le cas pour la plupart des éléphants et des rhinocéros, de même que pour les tigres et les grands singes ainsi que certaines essences de bois et certaines espèces marines.
 
La grande majorité des espèces inscrites aux annexes de la CITES, soit environ 96 % d’entre elles, ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais pourraient le devenir si le commerce international n’était pas strictement réglementé. Le commerce de ces espèces est autorisé à condition qu’il soit légal, durable et traçable. Un tel commerce génère des milliards de dollars chaque année et ce commerce strictement réglementé est au centre de notre collaboration avec la CNUCED.
 
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Mesdames et Messieurs les Délégués, les espèces sauvages peuvent être l’objet d’une utilisation durable avec ou sans prélèvements, et il existe de nombreuses formes de commerce légal des espèces inscrites à l’Annexe II de la CITES.
 
Les Parties à la CITES ont reconnu spécifiquement les impacts que les contrôles CITES peuvent avoir sur les communautés rurales, à la fois positifs et négatifs, et ont également reconnu l’importance de travailler avec ces communautés à la mise en œuvre de la Convention.
 
Les bénéfices de ce commerce strictement réglementé peuvent être importants pour les communautés locales et autochtones et j’aimerais partager avec vous trois exemples spécifiques :
 
  •  Le Centre du commerce international (CCI) a estimé qu’un milliard de dollars est généré annuellement à l’extrémité supérieure de la chaîne de valeur par le commerce de seulement cinq espèces de pythons figurant aux annexes de la CITES. Ce commerce légal, principalement axé sur l’utilisation des peaux dans la haute couture, bénéficie aux communautés et aux chasseurs locaux dans les pays d’Asie du Sud-Est tels que l’Indonésie.
  •  Le commerce de la précieuse laine de vigogne, une espèce sauvage apparentée aux lamas domestiques, a ainsi été bénéfique à la fois pour l’espèce et pour les communautés locales. Au cours des 50 dernières années, le nombre d’animaux à l’état sauvage est passé de 6000 à 350 000 et l’activité emploie directement ou indirectement 900 personnes dans le seul village de Lucanas, au Pérou. Je sais de source sûre qu’un costume en laine de vigogne peut coûter environ 50 000 USD, ou même plus !
  •  Le Prunier d’Afrique (Prunus africana) est utilisé dans les traitements médicaux de la prostate. Grâce à un programme conjoint OIBT-CITES, les communautés locales du Cameroun qui pratiquent la récolte et le commerce de l’écorce sèche de cette essence n’abattent plus les arbres pour en prélever l’écorce. Ils récoltent maintenant l’écorce d’une manière durable et protègent les forêts où poussent ces arbres précieux.
Il existe d’autres exemples bien documentés (que je n’ai pas le temps de partager aujourd’hui avec vous) d’espèces faisant l’objet d’un commerce CITES légal, tels que le commerce du cuir et de la viande d’alligator, de la chair de lambi, des trophées de chasse de Markhor, et du bois d’Acajou d' Amérique (Swietenia macrophylla).
 
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Cependant, Mesdames et Messieurs les Délégués, de tels efforts de conservation et de gestion sont sérieusement mis à mal par le commerce illicite. À titre d’exemple, le commerce illégal des espèces de pythons figurant aux annexes de la CITES, dont je viens de vous parler, est estimé par le CCI à une valeur du même ordre que celle du commerce légal, privant ainsi les communautés locales et les gouvernements de ces revenus, menaçant une ressource naturelle de grande valeur, et nuisant à l’utilisation durable de ces espèces sur le long terme.
 
Conformément aux instructions de la Conférence des Parties (CoP) à la CITES, nous étudions les moyens de surmonter ces problèmes. Nous travaillons par exemple avec nos comités CITES et avec les Parties (en Asie du Sud-Est et ailleurs, y compris ici en Suisse), avec la CNUCED, les grandes maisons de haute couture, l’UICN et les ONG pour explorer les applications possibles de la technologie moderne pour améliorer le marquage, la traçabilité et le suivi des peaux de python et des produits qui en sont issus, afin d’aider à garantir leur légalité et leur durabilité, d’améliorer les contrôles et de faciliter le commerce légal.
 
Nous notons également que les consommateurs demandent davantage de garanties aux producteurs pour s’assurer que leurs produits ont une origine légale et durable.
 
La prise en compte de l’ensemble de la chaîne du commerce, et l’intégration de tous les acteurs ainsi que de nouvelles technologies et expertises, constituent un développement particulièrement encourageant, que nous aimerions voir répliqué pour d’autres espèces faisant l’objet d’un commerce légal.
 
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Mesdames et Messieurs les Délégués, bien que la CITES date de 1973, elle prend part à de nombreux débats contemporains sur le développement durable, tels que les moyens de subsistance des populations autochtones et locales, les impacts du changement climatique, les principes d’utilisation durable de la diversité biologique, et les questions de sécurité nationale, pour n’en citer que quelques-uns.
 
À titre d’exemple, la conservation et l’utilisation durable des ours polaires ont été longuement débattues lors des récentes sessions de la Conférence des Parties à la CITES (CoP) en raison des inquiétudes relatives à l’impact du changement climatique sur la banquise qui sert d’habitat à cet ours, et sur la manière dont cela exacerbera d’autres menaces potentielles pour l’espèce, telles que l’utilisation et le commerce international.
 
Ces impacts présentent un intérêt particulier pour les populations locales et autochtones dont les moyens de subsistance sont intimement liés à l’ours polaire et à son habitat.
 
Alors que la CITES célèbre en 2013 le 40e anniversaire de son adoption, avec de nombreux succès de conservation, elle est aussi confrontée à la pire crise depuis des décennies en matière d’abattage illégal d’éléphants et de rhinocéros ainsi que de commerce illégal de leur ivoire et de leurs cornes – évènements qui relèvent de plus en plus de la criminalité organisée et impliquent dans certains cas des groupes de milices rebelles.
 
Cette activité criminelle peut également sérieusement menacer la stabilité sociale et économique, ainsi que la sécurité nationale de certains pays. Le braconnage pour le commerce international illicite constitue littéralement un vol des ressources naturelles et du patrimoine culturel des pays, et nuit à la bonne gouvernance ainsi qu’à l'État de droit.
 
Nous parlons ici de braconnage à l’échelle industrielle et de criminalité hautement organisée - et ce sont les organisations criminelles et leurs meneurs sous-jacents qui réalisent des profits élevés au détriment des communautés locales.
 
La lutte contre ce commerce illicite bénéficie grandement aux communautés locales, notamment en protégeant les éléments d’intérêt touristique, les écosystèmes et les services essentiels qu’ils fournissent. C’est le cas par exemple du tourisme de nature qui apporte des bénéfices importants pour certaines économies nationales en Afrique, où le tourisme constitue une source importante d’emplois locaux et d’apport de devises.
 
En luttant contre le commerce illégal des espèces sauvages, nous soutenons donc également les possibilités de développement futur des communautés rurales.
 
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Mesdames et Messieurs, nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés pour atteindre nos objectifs mais des possibilités nouvelles et passionnantes émergent pour nous permettre de relever ces défis.
 
La CNUCED et la CITES ont signé un Mémorandum d’Entente en 2010 pour renforcer la coopération entre l’Initiative BioTrade et les programmes de la CITES.
 
Dans l’esprit de ce MdE, nous sommes en train de promouvoir activement le développement et l’utilisation des technologies modernes pour intercepter plus efficacement le commerce illicite de la faune et pour faciliter le commerce légal et durable. Nous relions également ce travail à nos efforts de collaboration avec d’autres entités telles que l’OIBT, l’Organisation mondiale des douanes, le Forum économique mondial, le CCI et le secteur privé.
 
Nos efforts de collaboration se sont révélés être bien ciblés et très pragmatiques - comme je l’espère le sera ce Congrès cette semaine. Nous envisageons également d’autres domaines de collaboration tels que le Système douanier automatisé pour la saisie, le contrôle et la gestion (SYDONIA) élaboré par la CNUCED.
 
Nous nous réjouissons de renforcer notre collaboration avec la CNUCED en nous tournant vers l’Agenda post-2015 pour le développement et même au-delà.
 
Je vous remercie.