La 16e session de la Conférence des Parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CoP16 de la CITES), réunie à Bangkok, Thaïlande, du 3 au 14 mars 2013, a pris des mesures décisives pour enrayer l’escalade inquiétante de l’abattage illégal d’éléphants et de rhinocéros d’Afrique et de la contrebande de leur ivoire et de leurs cornes, thème du présent article.
Les Parties ont également pris des décisions cruciales pour d’autres espèces subissant les pressions du commerce illégal: les grands félins d’Asie, les grands primates, les pangolins, les tortues terrestres et les tortues d’eau douce, certaines espèces ligneuses et l’antilope du Tibet; elles ont aussi décidé de demander une étude du commerce légal et illégal des guépards sauvages pour en évaluer les effets sur la conservation de l’espèce dans la nature.
Avis spécialisés sur la crise qui frappe les éléphants et les rhinocéros
Les 178 États, Parties à la Convention, ont entendu les avis du programme CITES de Suivi à long terme de l’abattage illégal des éléphants (MIKE) et du Système d’information sur le commerce des éléphants (ETIS) – tous deux gérés pour la CITES par l’organisation non gouvernementale TRAFFIC – selon lesquels 17 000 éléphants auraient été abattus illégalement en 2011, uniquement dans les sites surveillés par MIKE en Afrique – un chiffre que l’on peut probablement porter à plus de 25 000 pour l’ensemble du continent.[1] Selon l’analyse des données d’ETIS, le commerce illégal mondial de l’ivoire a atteint son plus haut niveau en 16 ans, avec une tendance à la hausse marquée des grandes saisies de centaines de kilos à la fois – ce qui indiquerait l’implication de groupes criminels organisés.[2] Par ailleurs, les informations rassemblées par le Groupe de spécialistes des rhinocéros d’Afrique et le Groupe de spécialistes des rhinocéros d’Asie de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature (CSE/UICN) et par TRAFFIC pour le Secrétariat[3] montrent que le braconnage a touché près de 2000 rhinocéros dans 11 des 12 États de l’aire de répartition des rhinocéros d’Afrique, entre 2006 et 2012, et qu’en Afrique du Sud seulement, l’abattage illégal de rhinocéros est passé de 13 animaux en 2007 à 668 en 2012.
Des groupes criminels organisés coupables d’actes criminels graves contre les espèces sauvages
Ces rapports, parmi d’autres, révèlent que nous sommes confrontés à une situation complexe et de plus en plus difficile de braconnage massif d’éléphants[4] et de rhinocéros pour alimenter les marchés noirs lucratifs de leur ivoire et de leurs cornes. Ces actes criminels sont perpétrés par des groupes criminels organisés, des milices rebelles et, également, en de rares occasions, par des éléments non contrôlés des forces militaires régulières. En première ligne, les gardiens de la faune sauvage font face à des éléments criminels bien équipés et bien financés et sont, souvent, totalement dépassés en armement. De plus en plus, ces hommes et femmes courageux sont blessés ou tués dans l’accomplissement de leur devoir. Ils ont besoin d’un appui en temps réel de la police et, parfois, de l’armée. Les autorités chargées de la lutte contre la fraude sont confrontées à des adversaires dangereux et dépourvus de scrupules et la réplique doit être à la mesure du risque.
Différentes réunions internationales appellent à agir contre le commerce illégal des espèces sauvages
Les inquiétudes soulevées par le commerce illégal des espèces sauvages ont été exprimées au plus haut niveau politique et traduites dans les résultats de plusieurs conférences internationales et nationales jusqu’à la CoP16. Au paragraphe 203 du document issu de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20), L’avenir que nous voulons, on peut lire les mots suivants: “ Nous sommes conscients des incidences économiques, sociales et environnementales du commerce illicite de la faune sauvage contre lequel des mesures fermes et accrues doivent être prises tant en ce qui concerne l’offre que la demande. À cet égard, nous soulignons l’importance d’une coopération internationale efficace entre les accords multilatéraux sur l’environnement et les organisations internationales.”[5]
Des sentiments semblables ont été exprimés, par exemple, dans la recommandation de 2011 de la Commission des Nations Unies sur la prévention du crime et la justice pénale quant à la nécessité d’apporter des réponses préventives et pénales au trafic illégal des espèces en danger de la faune et de la flore sauvages [adoptée depuis par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC)][6], dans la déclaration des chefs de file de l’Association de coopération économique Asie-Pacifique adoptée en 2012[7], à l’audience du Comité des relations extérieures du Sénat américain, en 2012, consacrée à ‘L’ivoire et l’insécurité: les conséquences mondiales du braconnage en Afrique'[8] et dans l’ 'Appel à l’action' contre le commerce illégal des espèces sauvages lancé par la Secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton.[9]
Ces initiatives, entre autres, reconnaissent que la criminalité liée aux espèces sauvages est désormais une menace grave pour la sécurité, la stabilité politique, l’économie, les ressources naturelles et le patrimoine culturel de nombreux pays et que l’ampleur de la réponse requise dépasse, de loin, les capacités des seuls organismes d’application des lois sur l’environnement ou la faune sauvage, celles d’un seul pays ou d’une seule région.
La CoP16 prend fermement position contre le braconnage et la contrebande de spécimens d’espèces sauvages
À la lumière de ces tendances préoccupantes, les Parties à la CITES réunies à la CoP16 ont mis fortement l’accent sur les questions de lutte contre la fraude, aussi bien dans leur ordre du jour officiel,[10] que lors de nombreuses manifestations parallèles, témoignant ainsi du rôle de fer de lance de la CITES concernant l’adoption de mesures réglementaires de portée mondiale pour garantir la légalité du commerce des espèces sauvages et réagir contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC),[11] qui comprend la CITES, INTERPOL, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et la Banque mondiale, a participé activement à la CoP16 et a été reconnu comme l’initiative intergouvernementale de pointe dans la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages.
La CoP16 a traité une large gamme de questions relevant de la lutte contre la fraude, notamment: obtenir un engagement politique de haut niveau; renforcer la coopération internationale; coordonner l’appui à la lutte contre la fraude aux niveaux mondial, régional et national; déployer une plus large gamme de techniques pratiques et renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude; mettre en œuvre les législations d’application de la CITES; obtenir un financement supplémentaire et réduire la demande de biens illégaux.
À la CoP16, nous avons été témoins d’une coopération internationale sans précédent pour lutter contre les menaces que posent le braconnage et la contrebande aux espèces sauvages, en particulier les éléphants et les rhinocéros, aux populations humaines et aux moyens d’existence. Toutes les Parties se sont montrées prêtes à effacer leurs différences dans l’intérêt des espèces et ont parlé d’une seule voix de la nécessité de prendre des mesures décisives pour enrayer ces tendances alarmantes.
L’avenir de la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages
À la CoP16, des mesures concrètes, inscrites dans un calendrier, ont été discutées de manière approfondie et intégrées dans un ensemble de décisions de la CoP qui seront appliquées d’ici à 2016.
Ces décisions et résolutions, adoptées par consensus, démontrent que les Parties à la CITES sont tout à fait conscientes que pour lutter sérieusement contre cette criminalité, nous devons: traiter ces actes comme des crimes graves; coordonner les efforts de lutte contre la fraude aux niveaux mondial, régional et national; travailler au niveau de tous les États d’origine, de transit et de destination; mieux utiliser la science légiste et partager les preuves légistes, en particulier dans le cas de saisies importantes; prendre des mesures plus agressives de lutte contre la fraude en appliquant les techniques qui servent à lutter contre le commerce illégal de drogues et d’autres crimes graves – comme par exemple les opérations pilotées par les services de renseignement, l’établissement de profils de risques, les livraisons surveillées,[12] les missions d’infiltration et l’application de la législation contre le blanchiment d’argent et le recouvrement des avoirs; au‑delà des saisies, l’ouverture d’enquêtes de suivi et les poursuites contre les malfaiteurs, en ciblant tout particulièrement les 'parrains' qui dirigent les groupes criminels organisés; et, sur demande, un appui aux pays, dès que se produit un incident grave.[13]
Le Secrétaire général de la CITES a également été prié de coopérer avec l’ONUDC en ce qui concerne les conséquences du braconnage et du commerce illégal pour la sécurité nationale de certains pays d’Afrique.[14]
Sensibiliser tous les acteurs
Au niveau politique, l’ICCWC a organisé une manifestation parallèle, durant la CoP16, qui s’adressait aux ministres et autres représentants de haut niveau, en vue de discuter de la criminalité transfrontalière liée aux espèces sauvages, et en particulier aux éléphants et aux rhinocéros.[15] Les participants ont estimé que la criminalité liée aux espèces sauvages est un crime grave générant des profits considérables pour les groupes criminels – elle appelle une réponse équivalente à celle qui est apportée à d’autres formes de criminalité transnationale organisée comme le trafic de drogues, d’êtres humains ou d’armes. Ils ont jugé nécessaire de bénéficier du soutien politique au plus haut niveau possible pour appuyer des actions renforcées et de la participation des ministères responsables des affaires étrangères, de la police et des douanes, ainsi que du système juridique et, dans certains cas, de l’armée (et d’autres organismes compétents, selon les besoins) pour combattre ces crimes et apporter une réponse bien coordonnée et pluridisciplinaire en matière de lutte contre la fraude.[16] Lors d’une autre manifestation organisée par l’ICCWC, les réseaux régionaux de lutte contre la fraude liée aux espèces sauvages du monde entier se sont rassemblés pour la première fois, reconnaissant la nécessité de renforcer la coopération intra et interrégionale.[17] La Banque asiatique de développement a également organisé une manifestation pour les hauts magistrats, les procureurs généraux, les procureurs, les cadres des douanes, la police, entre autres, afin de débattre de la criminalité liée aux espèces sauvages et une formation de haut niveau en techniques d’enquête a été dispensée par les partenaires de l’ICCWC à des cadres responsables de l’application des lois sur les espèces sauvages de toute l’Asie, les équipant ainsi de connaissances spécialisées qu’ils peuvent appliquer dans leur combat contre la criminalité transnationale organisée liée aux espèces sauvages et aux forêts.[18]
Mesures visant à limiter la demande de biens illégaux
Outre le thème de la lutte contre la fraude, les Parties à la CITES ont également estimé qu’il faut réduire la demande de produits illégaux et impossibles à tracer et renforcer la sensibilisation du grand public quant aux dommages graves causés par un commerce non réglementé et illégal. Les Parties, se voulant intransigeantes quant aux mesures de lutte contre la fraude ciblant les criminels qui participent au commerce illégal dans les États d’origine, de transit et de destination, ont aussi envisagé des mesures pour limiter la demande d’espèces sauvages faisant l’objet d’un commerce illégal. À cet égard, nous n’avons pu que nous réjouir de l’initiative récente de l’Organisation mondiale du tourisme et de l’ONUDC qui demandent aux touristes d’aider à réduire la demande de biens et services illégaux liés à la criminalité transnationale organisée.[19]
Faire porter la lutte contre la fraude sur toute la chaîne d’approvisionnement illégal
Le Comité permanent CITES (organe subsidiaire chargé de la politique et du respect de la Convention) a consolidé ces efforts en convenant avec les huit États clés d’Afrique et d’Asie qui sont impliqués dans la chaîne d’approvisionnement de l’ivoire illégal (qu’il s’agisse de pays de l’aire de répartition, de transit ou de destination) de la préparation de plans d’action nationaux contenant les détails des activités que ces États entreprendront dans un calendrier précis pour lutter contre le commerce illégal de l’ivoire. Ces plans seront revus en permanence par le Comité permanent qui peut adopter une large gamme de mesures pour s’assurer du respect de la Convention.[20]
Obtenir un financement supplémentaire pour la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages
Les résultats de la CoP16 reflètent l’engagement de tous les pays à mettre fin au braconnage d’éléphants et de rhinocéros d’Afrique et de la contrebande de leur ivoire et de leurs cornes. Il existe des contraintes financières et la Table ronde ministérielle a déterminé qu’il importe d’attirer de façon urgente de nouveaux donateurs et de nouvelles ressources en appui aux efforts nationaux et internationaux.[21] Dans ce contexte, il convient de saluer la décision de renforcer le soutien au Fonds pour l’éléphant d’Afrique[22] et la présence de nombreux organismes de financement qui participait à une CoP de la CITES pour la première fois, en particulier la Banque asiatique de développement et la Banque africaine de développement, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le PNUD. La Banque mondiale a également participé, y compris dans le cadre de son Initiative mondiale pour le tigre, un modèle de traçage du commerce illégal des tigres.
Beaucoup de nouvelles espèces sont désormais placées sous le contrôle de la CITES
Les mesures convenues pour renforcer les efforts de lutte contre la fraude sont importantes pour toutes les espèces inscrites aux annexes CITES et la CoP16 a décidé d’inclure beaucoup de nouvelles espèces aux annexes CITES, notamment plus de 200 espèces d’arbres d’importance commerciale d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ainsi que cinq espèces de requins précieux sur le plan commercial, la raie manta et de nombreuses tortues terrestres et tortues d’eau douce, entre autres. Il est tout particulièrement intéressant de noter que les États des aires de répartition ont de plus en plus recours à la CITES pour garantir un commerce légal, durable et traçable des espèces d’arbres.[23]
Un tournant – le 3 mars prend un sens nouveau
Globalement, la CoP16 qui coïncidait avec le 40e anniversaire de la signature de la Convention sera vue comme un tournant dans l’histoire de la Convention, pour de nombreuses raisons, notamment pour les décisions stratégiques et concrètes prises en matière de lutte contre la fraude.[24] Le Secrétariat s’efforce maintenant de collaborer avec les Parties et de nombreux partenaires, à l’intérieur et à l’extérieur du système des Nations Unies, pour veiller à l’application réelle de ces résultats.
Le Comité permanent de la CITES supervisera l’application des décisions prises à la CoP16 et les Parties à la CITES se réuniront à nouveau en Afrique du Sud en 2016 pour évaluer de façon critique et réviser les effets "sur le terrain" des mesures adoptées à Bangkok en 2013.
Une proposition du Royaume de Thaïlande visant à faire du 3 mars, date à laquelle la CITES a été signée, la Journée mondiale de la vie sauvage, a été adoptée par consensus. Ce sera désormais une occasion annuelle de promouvoir des actions internationales et nationales pour garantir la conservation et l’utilisation durable des espèces sauvages.
[1] Voir: document CoP16 Doc. 53.1 (et addendum): /fra/cop/16/doc/F-CoP16-53-01.pdf
[2] Voir: document CoP16 Doc. 53.2.2 (Rev. 1): /fra/cop/16/doc/F-CoP16-53-02-02.pdf
[3] Voir: document CoP16 Doc. 54.2 (Rev. 1): /fra/cop/16/doc/F-CoP16-54-02.pdf
[4] Voir: L’évaluation de la réponse rapide pour un rapport consolidé: /eng/news/pr/2013/20130306_ivory.php
[5] Article de l’IISD #13: CITES: From Stockholm in '72 to Rio+20 – Back to the future: http://uncsd.iisd.org/guest-articles/cites-from-stockholm-in-%E2%80%9872-to-rio20-back-to-the-future/
[7] Voir: document CoP16 Doc. 29 (Rev. 1): /fra/cop/16/doc/F-CoP16-29.pdf. Voir également: /fra/news/pr/2012/20120912_APEC_declaration.php
[10] Voir: ordre du jour de la CoP16: /fra/cop/16/doc/index.php
[11] Voir: /fra/prog/iccwc.php
[12] Voir par exemple: /fra/news/sundry/2011/20111219_cd_workshop.php
[13] Avec une décision visant à établir des équipes d’appui en cas d’incident lié aux espèces sauvages (WIST)
[14] Voir: document CoP16 Doc. 53.2.1, Décision 16
[15] Voir: /fra/news/pr/2013/20130305_ministerial.php
[16] Voir résumé du Président de la Table ronde ministérielle: /fra/cop/16/inf/F-CoP16i-54.pdf
[17] Voir: /fra/news/pr/2013/20130307_wen.php
[20] Voir: Résolution Conf. 14.3: /fra/res/14/14-03C15.php
[21] Voir: Résumé du Président de la Table ronde ministérielle: /fra/cop/16/inf/F-CoP16i-54.pdf
[22] Voir: Lancement du Fonds pour l’éléphant d’Afrique: /eng/news/pr/2011/20110819_SC61.php
[23] Voir par exemple: /fra/news/sg/2011/20111229_IYF.php
[24] Voir dernier communiqué de presse: /fra/news/pr/2013/20130314_cop16.php