Remarques de John E. Scanlon, Secrétaire général de la CITES, prononcées lors de la séance sur le commerce illégal des tigres du Forum international sur le tigre

Mise à jour le 22 septembre 2020
 

 

Remarques de John E. Scanlon, Secrétaire général de la CITES, prononcées lors de la séance
sur le commerce illégal des tigres du Forum international sur le tigre

Saint-Pétersbourg, Fédération de Russie, 22 novembre 2010

Secretary-General John Scanlon with Suwit Khunkitti, Minister of Natural Resources and the Environment, Thailand, at the International Tiger Forum, Saint Petersburg

Au ״marché noir ״ du commerce illégal d’espèces sauvages, presque toutes les parties d’un tigre ont de la valeur. La peau, les os, les moustaches, les os de l’épaule, les pattes, les griffes, les dents, le pénis et la queue sont tous utilisés à différentes fins. Le commerce illégal de viande de tigre pour la consommation humaine semble avoir augmenté depuis quelques années. Les moyens de profiter du commerce de cet animal sont pratiquement infinis et il existe aussi un commerce de tigres vivants, même s’il est limité, essentiellement pour les collections privées d’animaux exotiques ou comme symbole de réussite sociale.

Malgré les efforts déployés par les Etats de l’aire de répartition du tigre, notamment la création d’aires protégées de plus en plus nombreuses où l’on aurait pu penser que les tigres seraient en sécurité, le déclin de l’espèce dans la nature semble presque inexorable.

En 1999, une mission technique de la CITES a rendu visite à 14 Etats de l’aire de répartition du tigre et à ce que nous appelons des pays de consommation. Elle a constaté que, souvent, les responsables de l’application des lois chargés de la protection des tigres dans la nature et de la lutte contre le commerce illégal de ces magnifiques créatures manquaient de moyens, étaient mal payés et mal formés. Une dizaine d’années plus tard, bien des conclusions et recommandations de la mission sont encore d’actualité.

Il y a cependant des efforts louables de lutte contre la fraude mais ils ne sont pas assez fréquents. C’est tout particulièrement rageant lorsque l’on se dit que le commerce illégal des tigres n’est pas spécialement répandu. Il semble être, pour une bonne part, le fait d’un nombre relativement limité d’individus ou de groupes et destiné à des marchés ou des consommateurs spécialisés. Certains de ces marchés et consommateurs sont, certes, clandestins par nature mais ils peuvent être infiltrés et ciblés. Le Secrétariat CITES est convaincu que le commerce illégal actuel des tigres pourrait, en grande partie, être considérablement réduit à condition que des efforts concertés et collectifs soient déployés par les milieux de la lutte contre la fraude pour lutter contre ceux qui participent à ces crimes destructeurs.  

Depuis longtemps, les milieux CITES savent aussi que la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages est une tâche pluriagences. Régulièrement, nos ateliers de renforcement des capacités rassemblent des agents des douanes et des polices, des inspecteurs de la protection des pêches, des gardes forestiers, des pisteurs de gibier, des gardiens de la faune, ainsi que d’autres responsables représentant des organismes spécialisés dans la lutte contre la fraude.

Au niveau international, le Secrétariat CITES entretient, depuis longtemps, des relations de travail très étroites avec INTERPOL et l’Organisation mondiale des douanes. Depuis quelques années, nos liens de collaboration se sont resserrés avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et plus récemment avec la Banque mondiale. La Conférence des Parties à la CITES a officiellement demandé le renforcement de ces relations.

La collaboration du Secrétariat CITES avec ces partenaires a cependant souvent eu tendance à se faire au niveau bilatéral ou trilatéral et non multilatéral. Nous avons compris qu’il était temps d’appeler ״tout le monde sur le pont ״ et d’enfin vraiment joindre nos efforts complémentaires. C’est ainsi qu’est née une nouvelle initiative appelée Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages ou ICCWC – à prononcer, à l’anglaise, 'eye-quick'.

L’ICCWC est un partenariat entre cinq organisations internationales:

  • Le Secrétariat CITES apporte plus de 30 ans d’expérience en matière d’appui aux Parties pour la réglementation du commerce légal des espèces sauvages et la lutte contre le commerce illégal. On conçoit sans peine que notre connaissance et notre compréhension des moteurs du commerce des animaux et des plantes ainsi que des formes que revêt ce commerce sont considérables. Nous avons aussi une excellente vision globale de la criminalité contre les espèces sauvages et la Convention CITES elle-même établit, naturellement, le cadre juridique dans lequel prendre des mesures contre le commerce illégal des espèces sauvages.
  • INTERPOL, la première organisation de police criminelle du monde, apporte dans la corbeille près de 80 ans d’aide à la communication entre les forces de police de tous les pays. Ses cadres ont une profonde connaissance de la coordination des opérations et enquêtes internationales, traquant les malfaiteurs en fuite et les déférant à la justice, tenant à jour les bases de données où sont consignés les noms, les empreintes et les photographies de toutes sortes de criminels et réagissant rapidement sur les principaux théâtres du crime et du terrorisme, à travers le monde. L’adoption à l’unanimité d’une résolution sur les atteintes à l’environnement par l’Assemblée générale d’INTERPOL réunie il y a deux semaines, illustre clairement que les commissaires et autres cadres supérieurs de la police reconnaissent la gravité du crime organisé associé au commerce illégal des ressources naturelles.
  • L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime soutient les pays dans leur lutte contre, par exemple, le trafic des stupéfiants, des êtres humains et des armes à feu. De manière stratégique et pratique ainsi que par une recherche et une collecte de données minutieuses, il aide les systèmes judiciaires du monde entier à combattre les tentacules du crime organisé qui s’infiltrent de plus en plus dans les moindres recoins de la société. Ses bureaux de pays et régionaux travaillent tous les jours au renforcement des capacités et du professionnalisme des organismes nationaux de lutte contre la fraude. C’est ainsi qu’en octobre de cette année, le personnel de la CITES et celui de l’ONUDC ont participé à une séance de formation pour les services des douanes et de police qui surveillent le transport maritime empruntant le canal de Panama.
  • La Banque mondiale s’efforce, aux niveaux national, régional et international, d’aider les pays en développement et à l’économie en transition. Elle incite de plus en plus à la gouvernance et à la durabilité de l’exploitation légale des ressources naturelles et a une expérience considérable en la matière pour ce qui est de la foresterie et de l’exploitation forestière. Elle a un personnel spécialisé qui travaille, dans le monde entier, à la lutte contre le blanchiment d’argent et à la récupération des avoirs et des biens. Grâce aux connaissances spécialisées de la Banque mondiale, nous sommes heureux de pouvoir introduire, dans le domaine de la lutte contre la fraude touchant les espèces sauvages, le principe de ‘chercher l’argent’ qui nous permettra de frapper les groupes criminels là où ils auront le plus mal – au porte-monnaie.
  • L’organisation mondiale des douanes représente les administrations douanières de la planète et a mis en place des régimes tarifaires qui permettent, chaque jour, de suivre, repérer et déterminer les droits de douane, pour tous les aspects du commerce. Elle a conçu et instauré des systèmes de facilitation et de réglementation permettant d’accélérer le transport des marchandises d’un point du globe à un autre tout en ciblant et interceptant la contrebande. Autrefois considérés comme des agents simplement chargés du recouvrement des recettes fiscales, les fonctionnaires des douanes sont aujourd’hui aux avant-postes pour assurer l’intégrité des frontières et la sécurité nationale de nos pays. L’année dernière, lorsque le Secrétaire général de l’OMD a appelé à une journée mondiale d’action contre le commerce illégal d’animaux et de plantes sauvages, 90 administrations des douanes ont répondu et plus de 4.500 articles de 80 espèces différentes ont été saisis.

Ce sont ces cinq entités, la CITES, INTERPOL, l’ONUDC, la Banque mondiale et l’OMD qui forment l’ICCWC.

Le but de l’ICCWC est d’ouvrir une ère nouvelle dans la lutte contre la fraude touchant les espèces sauvages en tirant parti des compétences complémentaires du Consortium. Une ère où les criminels qui s’attaquent à des espèces animales et végétales en danger se heurteront à une formidable opposition, bien décidée à démontrer que le commerce illégal d’espèces sauvages n’est plus sans risques et à faire en sorte que les malfaiteurs arrêtés et traduits en justice se verront infliger des peines à la mesure de leurs crimes.

Au nom de la communauté CITES, et en réalité de toute la communauté de la conservation de la nature, je remercie les organisations partenaires qui ont adopté avec tant d’empressement le concept de l’ICCWC. Je saisis aussi cette occasion pour rendre publiquement hommage à la petite équipe de spécialistes des cinq organisations qui a volontairement promu le concept et l’a fait aboutir. 

Jusqu’à présent, l’ICCWC n’était qu’un concept mais demain, à Saint-Pétersbourg, nous aurons un protocole d’accord qui en fera une réalité.

Le protocole a été signé, au début du mois par Ronald Noble, Secrétaire général d’INTERPOL et par moi-même, lors de ma visite au siège d’INTERPOL, à Lyon. Quelques jours plus tard, il a été signé par le Secrétaire général de l’Organisation mondiale des douanes, Kunio Mikuriya, à son bureau de Bruxelles.

Yury Fedotov, Directeur exécutif de l’ONUDC et Robert Zoellick, Président de la Banque mondiale, signeront le protocole, en marge du segment de haut niveau de demain, pour que le Consortium voie officiellement le jour.

Enfin, le Forum international sur le tigre de Saint-Pétersbourg devrait envoyer un message haut et clair aux malfaiteurs qui s’attaquent aux tigres – vous serez traqués et traduits en justice – et le Consortium créé à ce Forum fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider les autorités nationales de lutte contre la fraude dans leur travail.